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laurence d. au pays de l'entreprise
7 mars 2007

La jeune fille, le prince charmant et l'argent 3

lohmeyer

Petit appétit et salaire d’appoint

Une de mes amies, quand elle était étudiante, travailla l’été dans l’entreprise de son père. Elle découvrit que les hommes percevaient une prime que les femmes ne recevaient pas. Cette prime, dite de panier, devait couvrir les frais de déjeuner. Son père interrogé lui répondit : « Mais les femmes n’en ont pas besoin, elles sont toutes au régime ! »

Estimation de soi, reconnaissance, puissance…

Mais aussi amour, corps intime.

Comment ces sens associés à l’argent résonnent-ils pour les femmes ? disions-nous la semaine dernière en interrogeant la psychanalyse, après avoir constaté dans l’étude GEF que les écarts de salaires entre hommes et femmes perduraient dans les nouvelles générations.

Cette semaine nous interrogerons la sociologie. Comment la question se pose-t-elle en France actuellement ? Je ferai référence aux travaux du MAGE ( www.tgs.cnrs.fr) présentés lors de la journée du 8 juin 2006, disponibles aussi dans le numéro 15/2006 « Salaires féminins, le point et l’appoint » de la revue Travail, Genre et Sociétés (Armand Colin).

Un peu d’histoire

L’origine des écarts de salaires remonte à la période industrielle, nous dit Laura Lee Downs, quand le travail féminin est devenu une nécessité du fait de la guerre de 14-18. Malgré cela toutes les négociations salariales qui ont suivi sont restées entachées par la notion de salaire d’appoint, associée à l’affirmation que les femmes ont des besoins moindres que les hommes. Dans le domaine alimentaire, par exemple ! Et en obtenant le même salaire que les hommes, donc en gagnant plus que le nécessaire, elles perdraient leur motivation. Donc dans le contexte de l’époque, qui était celui du travail aux pièces dans lequel les femmes se montraient plus performantes que les hommes, mieux valait lier le salaire à la catégorie de l’ouvrier plutôt qu’à la tâche accomplie !

Dans ces négociations salariales, pointe Laura Lee Downs, l’unité économique prise en compte pour les hommes était la famille, pour les femmes l’individu. Les bas salaires des femmes jouaient de plus un rôle dans l’économie du pays : les femmes se devaient de rester une main d’œuvre bon marché dans un pays qui se relevait de la guerre, au risque sinon d’entraîner la destruction de pans entiers de l’économie !

Une jeune femme me racontait récemment qu’elle n’était pas encore parvenue à dépasser la culpabilité à laquelle son manager la renvoyait, quand elle tentait de négocier ses augmentations de salaire : il lui expliquait que ce qu’il lui donnerait ne serait pas donné à d’autres qui avaient aussi beaucoup travaillé !

Cette idée a donc la vie dure. On la retrouve d’ailleurs en entreprise, comme dans le monde politique, quand il est question de l’accès des femmes aux responsabilités.  Ce qui est donné aux femmes, est enlevé aux hommes.

Marie-Thérèse Lanquetin souligne à son tour que la notion de salaire féminin aurait du disparaître en 1946, date à laquelle la convention OIT (organisation internationale du travail) garantît des droits égaux aux femmes, déclaration reprise dans le Préambule de la Constitution française la même année. Mais c’est seulement en 1965, qu’une loi autorisera en France une femme à travailler sans l’accord de son mari. Il pouvait avant s’y opposer au nom de l’intérêt de la famille. Le code civil intégrait donc bien jusque-là la notion de salaire d’appoint.

Salaire d’appoint et valeur symbolique du travail

Et dans les esprits cette notion est encore vivace, même dans les milieux censés être les plus évolués.

Dans une entreprise très engagée sur le front de la parité, une femme de la petite cinquantaine s’est entendu dire récemment que compte tenu de son âge et de la situation de son mari, il serait temps qu’elle envisage de ne plus travailler…

D’ailleurs, étayant la persistance dans les esprits de cette notion de salaire d’appoint, Delphine Serre pointe que pour les femmes à salaire inégal, satisfaction égale ! Les jugements portés par les deux sexes sur leurs salaires diffèrent très peu. A salaire égal, les femmes se disent même un peu plus souvent que les hommes normalement payées, que mal ou très mal payées. Plusieurs explications à cela :

  • Le point de référence pris en compte pour les femmes diplômées pour apprécier leur niveau de rémunération ne serait pas celui des hommes à diplôme égal, mais celui des femmes non diplômées.
  • L’autre élément déterminant dans cette appréciation serait la situation familiale. Les exigences salariales des hommes augmentent dès qu’ils constituent une famille. Ce n’est pas le cas des femmes, sauf quand elles se retrouvent à la tête d’une famille monoparentale.

On constate ainsi qu’elles ont intériorisé la notion de salaire d’appoint. Leurs attentes sont différentes.

  • Les hommes déclarent s’impliquer pour avoir du pouvoir, de l’argent,

  • les femmes parce que ça les intéresse.

  • Elles manifestent un attachement très fort à la valeur symbolique du salaire plus qu’à son montant.

  • Elles valorisent d’avoir un travail, d’être indépendante, en se comparant à leur mère.

  • Quand les hommes cherchent à avoir de meilleures conditions salariales que leur père !

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Les jeunes diplômées d’écoles de commerce, ont les mêmes exigences que les garçons en termes de rémunération, tant qu’elles sont célibataires. Mais mariées et pourvues d’enfants, leurs exigences salariales passent au second plan. Et elles se comparent toujours entre elles.

Anne-Marie Daune-Richard va même jusqu’à dire que pour les femmes la case avenir est vide ! Puisqu’elles se comparent au passé, de leurs mères, et que les hommes eux se projettent dans l’avenir social de leur descendance dont ils se sentent responsables. On reste ainsi dans un modèle familial ancien. Les hommes, plus que les femmes, adhèrent à une représentation classique du travail liée au pouvoir et à l’argent.

Un euro gagné par l’homme ou par la femme ?

L’étude de l’affectation des ressources de l’homme et de la femme aux dépenses du ménage met à jour un partage différencié des dépenses. Il n’y a pas, nous dit Delphine Roy, d’équivalence parfaite entre un euro gagné par l’homme et un euro gagné par la femme. Ce travail a été réalisé à partir des statistiques de l’Insee sur le budget des ménages, affiné ensuite par des entretiens ethnologiques. En effet, les études officielles concernent toujours « le ménage ». Et première surprise, dans les études sur la pauvreté l’unité prise en compte est le ménage, pas le salaire en tant que donnée individuelle. Ainsi, 80% des bas salaires concernent les femmes en France, mais 83% de ces femmes vivent en couple. Et au sens de l’Insee ces femmes sont rarement considérées comme pauvres !

Néanmoins la femme ne bénéficie pas du revenu de l’homme de la même façon que si c’était son revenu. Certains postes budgétaires sont clairement sexués. Delphine Roy a utilisé les statistiques de l’Insee en regardant l’influence de la position sociale et du diplôme des deux conjoints sur la part du budget consacré à différentes dépenses. On peut ainsi distinguer trois groupes de biens :

  • Ceux pour lesquels l’argent semble indifférencié, les « causes communes » : acquisition d’un logement et éducation, au sens large, des enfants.
  • Les « biens masculins » où l’effet du revenu masculin est significativement supérieur à celui de la femme : automobile et deux roues (particulièrement les voitures neuves), les dépenses d’assurance-vie, qui semblent jouer un rôle d’assurance entre conjoints quand la femme gagne moins que son mari, et les dépenses d’habillement, même féminin ! Le vêtement de la femme serait un signe extérieur de richesse de l’homme. Les biens et services personnels entrent aussi dans cette catégorie : technologie pour les plus diplômés, « dépenses ostentatoires » d’automobile et de restaurants pour les cadres et plutôt bricolage et tabac pour les ouvriers.
  • Les « biens féminins » sont essentiellement des services marchands, comme cantine, garde d’enfants, service domestique. Ces services deviennent à domicile quand la femme est diplômée et cadre, sinon ils sont hors domicile. Ces services sont très fortement sensibles au revenu de la femme et dépendent donc de la capacité de la femme à financer un substitut à son propre travail.

Il semble à travers ce travail que pour les dépenses, comme ce qui est observé pour les tâches domestiques, l’arrivée massive des femmes dans le monde du travail n’ait pas modifié les responsabilités respectives au sein du couple.

  • Les femmes gèrent les « flux » (courses quotidiennes, périssables),
  • les hommes ont plus souvent la responsabilité des « stocks » (loyers, voiture) qui sont de gros postes budgétaires.

perfusion

La contribution féminine a tendance à être moins visible que celle des hommes, à laisser moins de traces sous forme de factures, voire de propriété de biens, ce qui devient problématique en cas de divorce.

                                               A suivre…

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