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laurence d. au pays de l'entreprise
30 avril 2007

La fée électricité 2

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C’est technique, est-ce pour elles ?

Une enquête réalisée il y a quelques années par l’Education Nationale montrait la crainte des filles, en allant vers des études techniques, de « perdre leur féminité ». Ces opinions semblaient très partagées par les parents, le corps enseignant et les services d’orientation professionnelle. On ne pouvait qu’être surpris par ces allégations et se demander à quel fantasme correspondait cette « féminité » si facile à perdre. On comprend mieux à la lecture de cette étude de quoi il s’agit.

C’est technique, est-ce pour elles ? est le titre d’un article de Nicole Mosconi et Rosine Dahl Lamotte (in Travail, Genre et Sociétés, n°9 – Avril 2003) qui présente une étude réalisée auprès des filles dans les sections techniques industrielles des lycées.

Si les raisons que quelques unes invoquent pour expliquer leur choix sont le goût pour la technique, le concret, voire une tradition familiale, pour beaucoup la raison qui est prioritairement invoquée, c’est un refus de tout ce qui est traditionnellement féminin, secrétaire, comptable ou coiffeuse. Et, plus encore, le refus de se trouver dans un milieu féminin.

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La description très stéréotypée et péjorative des filles qui est faite pour justifier ce rejet est impressionnante: mesquines, médisantes, querelleuses, sournoises, faisant des histoires, uniquement préoccupées de leurs petites affaires de cœur, de leur maquillage, etc. D’autres études, nous disent les auteurs, ont montré que ces descriptions reviennent souvent chez les femmes qui travaillent en milieu masculin. Comme si cette motivation devait se payer d’une dévalorisation de leur groupe de sexe et d’une rupture de la solidarité avec celui-ci, attitude dans laquelle elles adoptent le même point de vue que les garçons de leur classe.

Les attitudes très variables des garçons de la classe à leur égard vont de la surprotection au rejet pur et simple. Mais si l’on ne veut pas voir sa place remise en question dans la classe, il ne faut pas se plaindre. Supporter l’attitude des garçons est le prix à payer pour se faire accepter. L’atelier est un lieu où les garçons font sentir et affirment leur supériorité. Pour cela, ils organisent souvent une division du travail dans les groupes, où ils font l’essentiel et laissent aux filles l’accessoire. La plupart des filles réagissent contre cette division et parviennent à s’imposer. Mais on retrouve encore cette division du travail dans les stages : les garçons vont sur les chantiers, les filles se retrouvent souvent dans les bureaux d’études.

Une autre thématique qui revient dans presque tous les entretiens est celui des plaisanteries sexistes. Minimiser est la stratégie choisie par les filles pour éviter de donner prise. L’agression verbale n’est pas une agression, cependant la violence ressentie s’exprime dans le discours des filles qui ressentent un climat d’insécurité. A travers ces plaisanteries les garçons réaffirment leur position dominante et leur droit d’apprécier les qualités esthétiques et sexuelles des filles, voire mettent en question la place des filles dans leur classe. Celles qui sont passées par le lycée professionnel ont connu pire. Les agressions ne sont pas restées verbales. Un garçon a ce commentaire : « Ces sections, c’est chasse gardée ».

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Celles qui parviennent à s’adapter et à s’intégrer sont celles « qui ne se laissent pas marcher sur les pieds ». Celles qui ont le plus d’expérience, plutôt que de s’opposer frontalement, préfèrent user de stratégies détournées. On ne peut se faire reconnaître qu’en acceptant d’abord de ne pas remettre en cause la domination masculine. La stratégie peut être de faire allégeance aux valeurs de la culture masculine, à « prendre leur mentalité », quitte à renoncer à affirmer son identité féminine.

Les enseignants réagissent de manière variée à la présence des filles dans ces classes. Plusieurs filles donnent des exemples du machisme des professeurs, qui les ignorent parfois complètement dans la classe. D’autres signalent que les professeurs s’occupent d’elles plus particulièrement, les aident et elles apprécient cette attitude. Cependant les professeurs ne semblent pas considérer qu’il est de leur rôle d’intervenir face au machisme des garçons et à leurs relations conflictuelles avec les filles.

En ce qui concerne les projets d’avenir les filles interrogées se divisent en 4 groupes :

  • Tout d’abord il y a celles qui pensent qu’il leur sera possible de faire carrière dans un « métier d’hommes ». Conductrice de travaux, métreur, géomètre, chef de chantier, elles semblent déterminées à poursuivre dans cette voie.

  • Un deuxième groupe cherche un métier où concilier formation technique « masculine » et « féminité », plutôt bureau d’études que chantier, ou après une spécialisation commerciale évoluer dans du technico-commercial.

  • D’autres hésitent encore.

  • Quelques-unes sont découragées et renoncent à poursuivre. Malgré ce que leur avaient dit leurs conseillers d’orientation professionnelle ou leurs enseignants, elles ont découvert que ce n’était pas la bonne voie pour devenir ingénieur ou architecte. Elles sont très déçues des stages qu’elles ont pu faire. Prises de doutes elles envisagent de devenir enseignantes, ce qui leur permettrait de concilier vie professionnelle et familiale, pensent-elles.

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Les garçons qui choisissent le technique industriel, nous disent Nicole Mosconi et Rosine Dahl Lamotte, sont dévalorisés par rapport aux sections générales. Dans la hiérarchie masculine ils sont sur une « voie de garage », disent-ils. Néanmoins ce choix leur garantit la hiérarchie des sexes, car ces sections sont valorisées par rapport aux sections techniques « féminines » (tertiaire).

Dominés dans la hiérarchie scolaire, ils ne peuvent que défendre âprement leur situation de dominants dans la hiérarchie des sexes lorsque des filles viennent « envahir » leur territoire. En revanche pour les filles, c’est un choix valorisant dans lequel elles ont le sentiment de partir à la conquête d’un territoire.

En effet, les temps changent et dans ses plaquettes la FFB, Fédération Française du Bâtiment, affirme « Construire pour demain … c’est aussi miser sur la mixité ». Les arguments employés sont les suivants :

  • 3,5% de croissance pour le bâtiment en 2005

  • 30 000 départs à la retraite chaque année

  • 1 million de femmes parmi les demandeurs d’emploi (à fin juillet 2006)

  • 9 300 femmes en cours de formation.

La FFB invoque quelques témoignages de dirigeants pour convaincre les réticents :

  • « Il faut balayer les a priori sur les difficultés des femmes à travailler dans nos métiers. Il y a toujours des solutions. La caisse à outils était trop lourde ? On en a fait deux en fonction du type d’intervention et le tour était joué ! »

  • « La maternité ? Au moins c’est programmé ! Ce n’est pas le cas quand un de mes ouvriers téléphone le lundi pour me dire qu’il s’est cassé la jambe au rugby ! »

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Une femme « maçonne » témoigne aussi :

  • « J’aime bien l’ambiance du chantier, le parpaing se moque de votre humeur ! Et le métier est compatible avec la vie de famille : je quitte le travail à heure fixe ».

Forte de ce raisonnement CARI, entreprise de BTP s’est associée à ADIA pour attirer, recruter, former et intégrer des femmes dans les métiers du bâtiment qui vivent une pénurie de main d’œuvre. Les femmes sélectionnées, en situation de reconversion, ont intégré un parcours de formation en alternance sur 10 mois. A l’issue de cette formation, une quarantaine ont été embauchées en CDI. On prévoit qu’elles soient une centaine d’ici la fin de l’année.

Les échecs n’ont été guère plus nombreux que pour les hommes, qui sont tout de même de l’ordre de 40%. Les raisons ont pu être physiques, mais liées aussi à l’accumulation de contraintes (physiques, climatiques, familiales, etc). Les difficultés liées aux comportements machistes, à des freins culturels ont été les plus faibles. En fait, la diversité est déjà bien ancrée dans ce milieu, du fait de la diversité ethnique. Et c’est donc chez les jeunes, qui n’ont pas encore suffisamment développé ces apprentissages, qu’on les a rencontré.

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Par contre, cette expérience a montré l’importance du travail en amont de sensibilisation des équipes et de préparation des conditions de travail, comme la nécessité d’un accompagnement d’intégration tout au long de la formation.

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