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laurence d. au pays de l'entreprise
17 mai 2007

Le petit Deborah Tannen illustré

jambes

De la différence (suite)

Nous poursuivons l’exposé entrepris la semaine dernière du travail de Rosabeth Moss Kanter : que se passe-t-il pour les femmes en situation d’alibi ? Elle raconte ce qu’elle a observé dans une entreprise américaine des années 70, dans laquelle les femmes étaient 10%. C’est encore d’actualité de nos jours en France.

La vie est tellement plus facile quand on sait à qui on a affaire. Les groupes fonctionnent comme cela, sur la connivence, les plaisanteries rituelles, tout un ensemble de codes de communication possédés par tous qui facilitent les interactions. Introduire un ou deux éléments étrangers vient rompre cette harmonie faite de routines. Cela dérange : « on n’est plus entre nous ».

Deux réactions sont possibles :

  • En rajouter. C’était le cas dans les conventions de l’entreprise ou dans les formations. Dans les moments informels ou les jeux de rôle, les hommes exagéraient les récits portant sur leurs exploits sportifs, professionnels ou sexuels.
  • S’excuser, s’interrompre dans son discours pour demander à l’alibi si l’on peut s’exprimer ainsi en sa présence, en soulignant ainsi que l’on doit s’inhiber. En faisant preuve de « délicatesse », on plonge l’alibi dans l’embarras.

La solution était d’éviter que les femmes aient connaissance de ces occasions informelles. Or bien des informations importantes y circulent, c’est ainsi que les réseaux se constituent et les femmes en étaient de ce fait exclues. Les hommes en ont aussi parfois conclut qu’il n’était pas possible de parler franchement à une femme. Par exemple, pour lui dire ce qui ne va pas dans son travail quand il est encore temps de réagir, la laissant s’enferrer sans qu’elle ne dispose d’un réseau informel pour l’alerter.

Une autre solution pour se faciliter la vie est de coller des images stéréotypées sur l’alibi et de les contraindre à des rôles limités et caricaturaux. On se dote alors d’une grille d’interprétation simple de ses comportements. On sait à qui on a affaire, comment parler, réagir, etc. Facilité de lecture, d’appréhension des situations, facilité d’action et aussi de contrôle.

Pour ces femmes il fallait toujours faire attention à ne pas être identifiée dans un rôle « naturel » pour une femme : secrétaire, épouse ou maîtresse. Il fallait constamment veiller à affirmer son statut. Des fonctions aussi furent identifiées comme convenant aux femmes : fonctions administratives, Diversity manager. Il fallait prendre garde à ne pas s‘y laisser enfermer.

Rosabeth Moss Kanter a identifié quatre rôles stéréotypés dévolus aux femmes et dans lesquels elles pouvaient se laisser enfermer : mère, séductrice, mascotte, dame de fer.

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Mère

La femme devient la mère des hommes du groupe. Ils viennent lui confier leurs problèmes familiaux en échange de réconfort. Une femme, bien sur, est toujours à l’écoute, attentive et friande de problèmes personnels. C’est un rôle qui a l’avantage de ne pas mettre les hommes en compétition. Mais il a des inconvénients :

  • On apprécie que la mère soit à son service, pas qu’elle s’affirme dans une action indépendante.
  • Cela renvoie facilement à des images archaïques de mère toute puissante, assez effrayante. Pour garder une place de « bonne mère » la femme doit se garder de toute critique, ce qui est pourtant une façon de manifester son intelligence et ses capacités.
  • La mère devient une spécialiste des émotions très utile à la vie du groupe. Mais comme les hommes estiment déjà que les femmes sont trop émotives, la mère se devra de garder toutes ses émotions pour elle.

Paradoxalement, ou de façon très logique, les hommes estimaient qu’il était très difficile d’avoir avec ces femmes des échanges véritablement professionnels ! Si ces échanges créaient de la proximité avec les hommes, ils ne permettaient en fait jamais aux femmes de faire reconnaître leurs capacités professionnelles, leur autonomie et leur esprit critique.

Séductrice

Ce rôle comporte plus de tensions, car il crée compétition et jalousie. En effet, si la mère peut avoir plusieurs fils, il est plus difficile à la séductrice d’avoir plusieurs favoris ! Ce rôle est généralement dévolu à la femme identifiée comme désirable et disponible, sans qu’elle-même ait fait quoique ce soit pour cela. C’est un rôle très risqué, particulièrement si la femme manifeste une proximité avec un homme. La femme dans ce milieu étant une ressource rare, les ressentiments apparaissent vite. Et les attaques. L’image de la femme peut être très vite péjorée.

L’échappatoire serait d’avoir la « protection » d’un homme de rang élevé. Il intime le respect aux autres, permettant ainsi à la séductrice de garder sa « virginité ». mais cela ne protège pas complètement d’échapper au ressentiment, ni à l’identification en tant qu’objet sexuel.

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Mascotte

Les hommes l’aiment, ils la trouvent amusante et l’intègrent volontiers dans leur groupe. Mais elle ne peut jamais les concurrencer. C’est à ce prix. S’il arrive qu’on la félicite pour une performance, c’est bien parce que l’on juge cela exceptionnel et qu’il convient d’encourager cette petite chose attendrissante !

C’est la place de la petite sœur que l’on regarde faire ses premiers pas ! Mais cela n’ira pas plus loin. La petite sœur ne dépassera jamais les grands frères. Il lui sera impossible de manifester une véritable compétence et encore moins du leadership.

Dame de fer

Elle est l’avatar contemporain de la femme forte. Celles qui parviennent à échapper aux trois autres rôles et donc « résistent », sont fatalement perçues comme « dures » ou dangereuses. Défendre ses droits, couper court aux allusions sexuelles, affirmer ses compétences attirera inévitablement la question suivante : « Mais, dites-moi, vous ne seriez pas une de ces féministes ? ». Quelque soit la réponse, elles seront alors regardées avec suspicion. Les manifestations de politesse à leur égard seront exagérées. Et on les trouvera toujours beaucoup plus dures qu’elles ne le sont en réalité !

Mais alors que séductrices et mascottes peuvent susciter des attitudes de protection de la part du groupe des hommes, la dame de fer est condamnée à la solitude. Elle est censée savoir mener sa barque en toutes circonstances et ne peut donc attendre aucune sympathie dans les difficultés.

hommes

Faire partie du club

Comment se faire accepter ? Il faut prouver sa loyauté au groupe dominant, faire acte d’allégeance. Et tourner le dos à la minorité menaçante, au groupe des « filles ». Ne pas réagir aux commentaires ou plaisanteries sur le manque de compétence des femmes. Il est encore mieux d’y participer soi-même. On peut alors être reconnue comme une « exception ».

Une autre façon de manifester sa loyauté est d’accepter d’être une source de plaisanteries pour le groupe. Plaisanter est en effet une façon commune de manifester son accord avec une culture et qu’on en maîtrise l’usage. Proteste n’entraînerait que des dénégations des hommes quand au caractère sexiste de leurs plaisanteries. Par contre, ce serait le meilleur moyen d’être immédiatement accusée de manque d’humour (on retrouve le même phénomène actuellement avec les blagues sur les blondes).

La dernière marque de loyauté attendue est de manifester sa gratitude pour la situation à laquelle on est parvenue. Et surtout de ne jamais en demander plus.

Rosabeth Moss Kanter pointe que le dilemme de ces femmes alibis était de concilier le sentiment de leur différence avec la nécessité de supprimer ce sentiment chez les dominants. Elle note que certaines femmes s’adaptaient très bien. Elles adoptaient le langage et les intérêts des hommes. Elles manifestaient du goût pour la chasse et la pêche et tenaient parfois mieux l’alcool que les hommes.

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Seule dans la ruche

Ces femmes étaient trop peu nombreuses pour développer une « contre-culture » partagée par un groupe. Si elles ne voulaient pas s’adapter de cette façon, elle ne pouvait que garder une distance respectueuse avec les dominants, au risque de l’exclusion. En s’adaptant, elles devaient accepter d’être des exceptions, seules de leur espèce dans le club, et de s’opposer à leur groupe d’appartenance. C’est ce qu’on a appelé le « Queen bee syndrome », le syndrome de la reine des abeilles.

Pour Rosabeth Moss Kanter :

  • Quand les femmes sont de 10 à 15%, comme c’était le cas dans l’entreprise observée, il leur est difficile de créer une alliance qui puisse avoir un impact.
  • A partir de 35%, elles deviennent une minorité. Elles peuvent alors former des coalitions qui peuvent transformer les relations et la culture du groupe. Elles peuvent aussi être considérées comme des individualités différentes les unes des autres.
  • Le groupe devient réellement équilibré à 40%, encore mieux à 50.

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Commentaires
G
Bonjour Laurence,<br /> je tiens à vous remercier pour votre présentation lundi, devant quelques personnes du réseau DiverSE de Schneider-Electric. C'était très bien, riche d'informations, d'échanges (quoique un peu court) et de bonne humeur.<br /> Je pense que je viendrais régulièrement me ressourcer sur votre blog.<br /> Enfin, je me sens moins seule, et je comprends mieux....<br /> Merci encore<br /> Géralde
L
Je travaille dans un milieu trés masculin, et je ne saurais dire le nombre de fois où j'ai dis à ces hommes que j'étais une vraie petite mère pour eux....
laurence d. au pays de l'entreprise
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